“On est tous égaux face aux maths” : on est allé voir à Marseille à quoi ressemblait une “école du futur”

A l’école maternelle Menpenti, un “laboratoire” dédié à l’apprentissage des mathématiques a été créé. Ici, les élèves apprennent à ne plus voir cette matière comme “un problème”.

Agenouillée autour de la table miniature, cubes de construction à la main, Thaïs réfléchit à voix haute : “Non, là, ça ne va pas.” La fillette de cinq ans de l’école maternelle Menpenti, à Marseille (Bouches-du-Rhône), a été désignée par ses camarades pour s’assurer que les consignes de l’exercice ont été respectées. Au programme de l’atelier du jour : fabriquer, par groupe de quatre, des tours bicolores en trouvant le maximum de combinaisons différentes.

Le groupe scolaire Menpenti figure parmi les 59 établissements de la cité phocéenne à avoir été retenus dans le cadre de l’expérimentation des “écoles du futur” lancée par Emmanuel Macron en septembre 2021. Largement critiqué par les organisations syndicales, le dispositif entend donner une latitude – et des financements – aux établissements scolaires qui souhaitent créer des projets pédagogiques spécifiques. Il sera d’ailleurs généralisé dès le mois d’octobre à l’ensemble des établissements du territoire français, a précisé le président de la République dans sa lettre envoyée aux enseignants à la rentrée.

Renforcement des activités périscolaires, décloisonnement des classes ou encore implication des parents… La liberté est presque totale. “A Menpenti, on a voulu miser sur la manipulation”, illustre Marie-Laure Mercun, la directrice de l’école maternelle. Depuis le mois de février, celle-ci dispose d’un laboratoire de mathématiques permettant aux enseignants de faire travailler leurs jeunes élèves autour de différents jeux et défis.

Groupe réduit et exercices ludiques

Sommaire

Huit enfants entrent sagement dans ce laboratoire, deux par deux, main dans la main. Dans la pièce, de la taille d’une salle de classe traditionnelle, figurent tables miniatures rondes et mobiles, bouliers, balances et objets mathématiques de toutes sortes. Leur institutrice, Muriel Encrenaz, leur rappelle brièvement les exercices réalisés la fois précédente, puis, les jeunes élèves de grande section mettent la main à la pâte. Le but du défi du jour : “Disposer six briques Lego sur des surfaces en multipliant les combinaisons.” La veille, il n’y en avait que trois.

Tous les jours de la semaine, les institutrices de l’école maternelle emmènent, par roulement, des groupes de 8 à 12 élèves dans le “labo de maths” pour des ateliers d’environ 30 minutes autour de multiples jeux et défis. “L’objectif est que chaque élève puisse y aller au moins deux fois sur une semaine, une semaine sur deux”, explique Marie-Laure Mercun. Pendant les séances, les élèves travaillent en duo ou en équipe pour résoudre des problèmes, grâce aux outils qui leur sont donnés. “Cela renforce la cohésion de groupe”, se réjouit Brigitte Fages, une autre enseignante en grande section.

Au bout de quelques minutes, un premier groupe a déjà trouvé quatre solutions. “Alors, explique-moi, comment tu as fait ?” interroge Muriel. “J’ai mis la brique allongée”, répond timidement Inaya, 5 ans. “Comment on dit quand c’est comme ça ?” poursuit l’institutrice. “Horizontal !” intervient son camarade Louis, fier de connaître la réponse.

En finir avec les préjugés sur les maths

Ces dernières années, les équipes pédagogiques de l’école Menpenti ont observé des résultats de plus en plus faibles aux évaluations nationales de CP et CE1 – qui évaluent, entre autres, le niveau en mathématiques. C’est face à ce constat que l’idée d’un laboratoire a germé. “Il existe énormément de préjugés autour de cette matière et cela crée vite un distinguo entre les ‘bons’ et les ‘mauvais’ dans la classe. Les élèves finissent par voir les mathématiques comme un problème”, explique Sabine Bach Puglisi, directrice de l’école élémentaire Menpenti.

Très vite, l’idée d’imaginer un lieu dédié à la manipulation, à travers des activités de recherche et d’expérimentation, émerge. L’objectif : changer “le plus tôt possible” le regard sur les maths et dédramatiser la matière. “Repartir à zéro et se dire qu’on est tous égaux face aux mathématiques”, observe la cheffe d’établissement. Dans le labo, pas d’usage de papier, “l’idée, c’est de faire en sorte que les élèves n’aient pas à écrire”, poursuit-elle.

Muriel raconte que la première fois qu’elle s’est rendue dans le laboratoire avec un petit groupe d’élèves, ils étaient tous “surexcités”. “Ils pensaient qu’on était dans une salle de sport et n’arrêtaient pas de se jeter sur les tapis”, se souvient l’enseignante. “Aujourd’hui, alors qu’ils se sont un peu plus appropriés les lieux, ils ne demandent qu’à y aller”, se réjouit de son côté Brigitte, une autre institutrice de grande section. “C’est plus ludique pour eux, cela créé une dynamique de groupe qu’on ne retrouve pas forcément en classe.”

Pour les enseignants, le labo est un gain de temps. “On ne perd plus 15 minutes à ranger le matériel à la fin de chaque activité”, explique Muriel. C’est aussi l’occasion d’apprendre de nombreuses notions, en complément de ce qui est travaillé en classe. “Ces exercices permettent de travailler le vocabulaire spatial : gauche, droite, vertical, horizontal, détaille l’enseignante. C’est une manière d’introduire les enfants aux mathématiques, avant les additions et soustractions de l’école primaire.”

Un projet en pleine construction

L’école primaire est d’ailleurs la prochaine étape du projet. Sur la table d’une salle attenante au bureau de la directrice de la maternelle, Sabine Bach Puglisi déploie des croquis de plans de classe. Ils représentent le laboratoire de mathématiques – identique à celui de la maternelle – qui doit ouvrir d’ici janvier 2023 dans une ancienne salle informatique abandonnée, une fois les peintures refaites. “Nous attendons encore des livraisons de commande de mobilier”, explique la cheffe d’établissement.

Mais si l’aide matérielle est en cours d’approvisionnement à l’école Menpenti, ce n’est pas le cas partout. Sur la dizaine d’établissements que le SNUipp-FSU des Bouches-du-Rhône a contactés, plusieurs expliquent ne pas encore avoir reçu de financements. “Ce n’est pas le bonheur à tous les étages”, rappelle Virginie Akliouat, l’une des responsables départementales du SNUipp-FSU. Interrogé à ce sujet, Vincent Stanek, directeur académique des Bouches-du-Rhône, précise à franceinfo que sur les 2,5 millions d’euros de budget global prévu, 740 000 euros ont déjà été engagés et ajoute que ces retards de financements sont liés à la conjoncture internationale actuelle.

Casse-tête administratif

A Menpenti, les enseignants de primaire commencent à utiliser des jeux mathématiques et à avoir recours à la manipulation en classe, “mais ce n’est pas idéal”, explique Sabine Bach Puglisi. “En attendant le labo dédié où l’on pourrait mutualiser le matériel, il faut tout se partager entre enseignants.” Derrière cette attente, un long et sinueux chemin administratif pour les établissements, qui doivent enchaîner les devis pour obtenir des financements.

Un accompagnement est réalisé par le biais de conseillers pédagogiques qui se déplacent sur le terrain pour aider sur l’aspect financier, précise l’inspecteur académique Yoann Paulhan, en charge de l’école Menpenti. Mais dans les faits, les enseignants et chefs d’établissement ne sont “pas forcément habitués” à ces questions, d’après Marie-Laure Mercun. Pour ce qui est de l’aspect purement pédagogique, un plan de formation des enseignants dans le cadre des “écoles du futur” reste encore à déterminer cette année. “Il se fera en fonction des remontées du terrain”, explique Yoann Paulhan.

Retour au labo, où l’atelier Lego touche à sa fin. Au total, le groupe d’Inaya a trouvé sept solutions. C’est une de plus que l’autre groupe. “Champions !”, s’exclame Muriel. D’ordinaire, l’institutrice laisse les enfants vagabonder dans le laboratoire quelques minutes à la fin de l’exercice, pour qu’ils puissent explorer les différents outils mathématiques, mais aujourd’hui, le temps presse. Dehors, les cris retentissent : c’est déjà l’heure de la récré.